
Comment tu vas Josias ? T’as passé une bonne journée ?
Ça va ! Journée un peu chill, beaucoup de missions en fin de journée, mais là j’essaie de me détendre un peu.
Tu fais quoi en ce moment ?
Je viens de sortir des bracelets en cinq coloris. C’était un peu cardio mais là je suis plus dans le relâchement. Je suis déjà en train de bosser sur ce qui va arriver un peu plus tard. Je commence à faire deux trois trucs pour jouer sur des déclinaisons, genre du homewear, ça va être intéressant.
Josias enfant, il aimait faire quoi ?
J’aimais bien regarder des vieilles cassettes de skate, ça m’a traumatisé quand j’étais petit. C’est le premier truc que j’ai vu en rapport avec la France, et plus globalement l’Occident, vu que je suis né au Togo. Je me suis cramé à ces cassettes et je jouais beaucoup avec mes figurines aussi. J’aimais bien être à la maison.
T’avais déjà une idée de ce que tu voulais faire dans la vie ?
Plus ou moins. Ma mère est couturière donc j’ai eu un rapport très tôt avec les vêtements. Elle voulait pas trop m’acheter de jouets, elle me répétait que si je voulais des trucs, il valait mieux que je les crée en utilisant ma tête. J’avais des vieux Action Man et leur tenue me plaisait pas, du coup je lui demandais d’en confectionner pour les ré-habiller et c’est un peu arrivé comme ça. Je voulais aussi faire du chara-design dans l’industrie du jeu vidéo quand j'étais petit.
C’est quand que tu commences à vraiment vouloir faire quelque chose de ton goût pour le design, la mode ?
Vers mes 14/15 ans, via le délire du skate. J’ai rencontré Gab (Gabriel Miekountima), Sam (Gleem), Alex (Gianni Freeway) et la plupart des gars d’Orléans et en parallèle j’avais commencé une marque avec un pote à moi — ça s’appelait Repper. C’était inspiré du skate et de marques comme Huf ou encore le merch du magazine Thrasher. On voulait vraiment faire quelque chose qui s’en inspire donc on a commencé simplement avec des t-shirts, des hoodies, des casquettes.
Après ça m’a saoulé de tourner en rond en produisant que ça et on a progressivement arrêté. Cette période est aussi celle où j’ai réalisé que j’avais envie de comprendre le monde de la mode plus profondément. Ça m’a poussé à faire une grosse année “d’apprentissage” pour essayer plus tard de mêler mes inspirations avec ce que j’aurai appris.
Qu’est-ce que t’entends par grosse année d’apprentissage ? Tu t’es éduqué tout seul ? T’as geeké ?
C’est ça, un moment hyper geek. J’ai pas passé beaucoup de temps dehors et j’ai vu peu de personnes, c’était entre moi et moi. Je me suis un peu enfermé pour me préparer à ressortir avec une vision plus large. J'ai aussi rencontré un pote qui était designer et je passais tout mon temps avec lui. On regardait beaucoup de documentaires et je passais des nuits blanches sur Illustrator et les autres softs pour créer. Je maîtrisais pas ces logiciels et j’avais bien conscience qu’en vrai, quand tu veux faire du vêtement, c’est ultra important de savoir les utiliser. Du coup, je me suis consacré à ça toute cette année.

C’est quoi les choses que t’as découvert qui t’ont le plus marquées pendant cette année ?
Une chose qui m’a vraiment marqué c’est le courant de l’anti-fashion avec des créateurs comme Margiela, Rei Kawakubo ou encore Vivienne Westwood – toutes ces personnes qui sont venues casser les codes établis. Par exemple, quand tout le monde aimait les robes de soie et tout ce qui s'apparentait à ce que faisait Versace à une époque, un Goro Takahashi est venu avec une esthétique marquée par la culture amérindienne en rupture avec tout ça. Ça a laissé les gens dubitatifs au début puis tout le monde a fini par se réapproprier cette contre-culture. Je pense que c'est la chose qui m’a le plus choqué parce que j’ai retrouvé un peu ce que j’aimais dans la culture et la mentalité skate dans un truc un peu plus fashion.
Helmut Lang est un autre exemple qui m’a frappé. Ce minimalisme, c’est ce qui définit ma démarche aujourd’hui. Faire de belles choses avec juste un t-shirt et un jean, je trouve ça trop fort. J’ai vraiment passé cette période à faire que ça, me cultiver tout en gardant une base hyper skate, surf californien.
Et dans le cinéma, qui m’inspire beaucoup, c’est surtout les acteurs et leur lifestyle, leur charisme en dehors des films qui m’a aussi marqué. Tu regardes les images d’archives de Johnny Depp, c’est une dinguerie. Pareil pour Brad Pitt ou Adrian Brody. J’aime bien que ce soit soit des superstars mais qu'ils s’en battent les couilles.
C’est quand que tu décides de créer Sitti ? Avec quelle envie ?
En 2020. J’ai ressenti le besoin de créer un truc solo et hyper personnel alors j’ai créé Sitti. Je voulais que mes créations soient directement reliées à moi. Ça peut être compliqué tout seul, mais c’est des défis quotidiens. À chaque drop, il se passe un truc auquel j’ai jamais été confronté avant, mais je reste hyper content d’avoir le luxe de choisir ce que je veux vraiment à la fin et tout le monde ne l’a pas ce luxe là. C’est dans cette configuration que je pense pouvoir donner le meilleur de moi-même.
Ça t’arrive quand même de travailler avec d’autres personnes ?
Oui ponctuellement. C’est plus des proches que je vais démarcher. Par exemple, Gabriel m’a aidé à faire le motif camouflage de la dernière ceinture, c’est parti d’un “putain je veux grave faire une ceinture un peu goofy, il me faut un camo” et ça c’est fait naturellement. J’appelle des proches parce qu’on est tous dans un domaine où il y a personne qui est hyper loin, qui fait des projets qui lui prennent trop de temps pour en donner aux autres. Autant tous s’entraider maintenant et on montera tous, c’est ça le but.
C’est quoi le but de ta création, qu’est-ce que tu cherches à faire avec Sitti ?
Créer une esthétique. Je veux que même si il n’y a rien de Sitti sur quelqu’un, si je l’habille d’une certaine manière avec certaines couleurs, ça sonne Sitti pour les gens. Je veux diversifier ce que je sors, là j’ai envie de faire du homewear par exemple. Je veux vraiment être partout même si ça reste compliqué et j’ai vu pas mal de documentaires sur des designers qui ont essayé sans succès. Chrome Hearts c’est un peu la success story qui illustre le mieux ce que je tente. C’est un univers complet, c’est fou tout ce qu’ils arrivent à mettre en place même en impliquant leurs enfants, je trouve ça incroyable d’en arriver à ce degré.
Qui plus est, je voudrais que tout ce que je porte soit d’abord penser pour moi avant tout. Je fais beaucoup de choses pour moi à la base. Les casquettes j’en mettais beaucoup, sauf qu’à chaque fois les visières me saoulaient, jusqu’au moment où j'ai décidé d’en faire avec une visière plus courte, juste pour mon kif.

Pourquoi t’as choisi les ceintures comme premières pièces sur Sitti ?
Parce que faire des vêtements, ça me saoule en vrai, c’est beaucoup de travail et je respecte trop ça. J’ai cherché quelque chose de fort qui pourrait parler à plein de gens sans pour autant faire comme tout le monde, arriver avec un t-shirt ou un petit merch. Les ceintures c’était vraiment un coup de gueule pour dire “Je suis là !”. C’est aussi parce que je prenais tout le temps celles de mon père, j’en avais jamais et ça l’a saoulé.
Tu portes seulement tes ceintures maintenant ?
Ouai total je porte que ça. Les couleurs, les motifs représentent mes différents moods et ça me permet d’alterner. Parfois j’aime bien être vu donc je mets la rouge, d’autres fois j’ai envie d’être plus sobre et je porte la noire, ainsi de suite.
J’ai aussi remarqué plus généralement, quand j’étais chez Diemm, que les gens étaient hyper attentifs quand on sortait pleins d’accessoires et un peu moins quand on sortait des pièces. C’est pas forcément parce que le travail était moins bien fait mais plus parce que la proposition était déjà trop large, surtout à Paris. L’accessoire c’est moins cher et ça habille tout autant. Je le vois comme un gage de personnalité. Une casquette qui dénote, ou un peu chelou et on voit direct qui t’es. Ça reste un objet, tu peux le porter mais si tu veux juste le mettre chez toi en déco, ça marche aussi et c’est mon kif. Je veux être le Apple des accessoires.
Tu préfères les styles simples en général ?
Ouai, je déteste les styles hyper chargés. Pour moi il faut juste un bon pantalon et même si t’associes ça avec un t-shirt de merde et une paire de tongue tu seras frais. Je suis partisan de l’effort sans effort, du “là j’suis frais mais on va pas en faire des caisses". J’ai envie de créer la pièce, le détail qui fait tout dans une tenue.
Pour en revenir à Sitti, c'est toi qui gère tout en interne ? Production, communication, etc…
Oui ! Je design, je m’occupe de la mise en ligne, l’inventaire, la paperasse. Ça m’arrive d’appeler des proches pour m’aider sur du design, de la réal, de la prod, des shoots, du stylisme. J’ai des personnes de confiance qui m’épaulent quand j’en ai besoin mais je garde le luxe d’être tout seul derrière ma marque. J’ai aussi cette impression qu’avec Sitti c’est compliqué de faire participer pleinement d’autres personnes parce qu’avant tout c’est mon nom de famille, c’est fort comme symbolique.
Ça signifie quoi pour toi “Design by life.” ?
Après ma phase d’apprentissage j’ai commencé à plus sortir, voyager, pour me nourrir de ce qui m’entoure. C’est cette ouverture qui a modelé Sitti.
Et pour ce qui est de la phrase en elle-même, je l’aime beaucoup mais je la trouve trop sérieuse, froide. J’ai l’impression qu’il faudrait la rendre moins “cainri”, plus française. Jacques Marie Mage – je pense qu’il a bien compris cette formule. C’est quelqu’un qui m’inspire vraiment à ce niveau là. Il n'y a de français que son nom, ses montures sont universelles. Son nom sonne cool pour les étrangers, et plus généralement les anglophones. J’y pense...

C’est quoi ton processus de création ?
Les idées me viennent en regardant beaucoup de films, séries. Je screen pleins de trucs, je dois bien avoir 35 000 photos sur mon téléphone. Après il y a aussi ce truc d’obsession, le fait que je sois intense. Si je veux faire un sac à dos je vais essayer de chercher toutes les formes, dans toutes les matières de sacs à dos qui existent pour être sûr de savoir ce qu’il me faut et après je vais le décliner.
Le sourcing c’est important, c’est mon pote designer qui m’a aidé à prendre ces réflexes. Je suis allé en Thaïlande récemment et c’était ça, je pensais tout le temps à Sitti, ça m'a aussi fait acheter une tonne de vêtements pour les étudier.
C’est un exercice de fou de créer et le meilleur moyen qu’on a pour faire quelque chose de nouveau aujourd’hui c’est de décliner. C’est ça pour moi designer.
Pourquoi les noms de personnes de ta famille pour certaines pièces ?
Parce que c’est des gens qui m’inspirent de fou, ça va plus pas plus loin que ça. Après il y aussi les casquettes que j’ai appelé Nukafu, c’est le quartier où j’ai grandi au Togo et ce quartier là y’a un truc vraiment particulier, c’est la maison. Et les ceintures Ayi, c’est pour mon premier prénom éthnique.
Tu fais quoi à côté de ça ?
Pas mal de petits jobs en stylisme. J’m’occupe aussi avec un pote de l’image et du stylisme de l’artiste Luidji.
T’as jamais taffé pour une autre marque que la tienne ?
Si ! Après Repper, j’ai un peu touché à tout en passant du design à un peu de stylisme. J’ai bossé avec Diemm pendant un an et demi, je m’occupais essentiellement de l’image. C’est aussi comme ça que j’ai rencontré Goldie Williams.
À part ça, j’ai jamais eu de job dans une grosse structure dans le vêtement, peut être parce que j’ai aussi un peu le syndrome de l’imposteur. Comme j'ai fait des études de design produit, ça englobait tous les objets en général – une table, un stylo, une lampe, peu importe, mais rien à voir avec les vêtements, d’où ce sentiment. J’ai un peu peur du regard des gens dans ce milieu parce que j’ai jamais rien expérimenté de manière “officielle”.
T’as d’autres hobbys ?
Je fais un peu de musique, c’est mon truc à moi et j’ai pas forcément envie de le montrer ou d’en faire quoi que ce soit. Ça me donne juste envie d’avoir un groupe et de se poser tous les mercredis soir pour faire des sessions.
La création et le design c'étaient aussi des loisirs mais j’ai voulu en faire quelque chose de professionnel. Le problème c’est que si j’ai pas d’exutoire je risque de tourner en rond dans ma pratique et de pas pouvoir être endurant dans ce que je fais – d’où la musique et le dessin aussi, c’est mes activités extra-scolaires.
C'est quoi tes ambitions et tes projets futurs avec Sitti ?
Faire en sorte que l’esthétique Sitti soit reconnaissable. Continuer à m’amuser parce que, même si c’est un travail constant, c’est fun de créer surtout pour un mec qui voulait rhabiller ses figurines. Je suis content de faire ça.

Moi je te rattache à ça en t’interviewant, mais ça t’évoque quoi Radikal Dreamers ?
Pour moi, c’est les gens qui font les choses. Être créatif aujourd’hui, c’est le nouveau truc un peu tendance, même si ça a plus ou moins toujours existé. La vraie question c’est est-ce que dans dix ans quand ça sera stylé d'être… je sais pas… concessionnaire ? Est-ce que ces mêmes personnes auront persisté dans le domaine de la création ?
Il faut aller au bout des choses littéralement. Faut se dire “je l’ai rêvé, je l’ai pensé et maintenant je fais tout pour le faire”. C’est une mentalité.
C’est des chemins compliqués et c’est plus facile d’abandonner, de passer à autre chose en suivant la masse, en faisant ce qui marche. Faire la chose qu’on a toujours voulu et surtout réussir dans son domaine, ça doit être une joie incroyable. Ça m’évoque ça, Radikal Dreamers, les vrais gens qui font les vraies choses.
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Crédits:
Dreamers Intl (@radikaldreamers)
Clarisse Prévost (@redkoffee_)
Photos: Milos (@yoomilos)